02. La petite fille aux allumettes

Il faisait horriblement froid. La neige et la nuit tombaient de concert. C’était le dernier soir de l’année, la veille du Jour de l’An. Dans ce froid et cette obscurité, une petite fille marchaient dans le rue, tête découverte et pieds nus. Certes, elle portait bien des pantoufles en sortant de chez elle… mais à quoi bon? C’étaient de très grandes pantoufles, si grandes que sa mère s’en était servie dernièrement. La petite les avait perdues en se dépêchant de traverser la rue pour éviter deux calèches qui passaient à vive allure.

L’une demeura introuvable, l’autre, un gamin s’enfuit avec. Peut-être en ferait-il un berceau le jour ou il aurait des enfants. La fillette marchait donc, ses petits pieds nus, rougis et bleuis par le froid.Dans un vieux tablier, elle portait une quantité d’allumettes et tenait un paquet entre ses fines mains. Personne ne lui en avait acheté de toute la journée. Personne ne lui en avait acheté de toute la journée. Personne ne lui avait donné le moindre petit sou. Transie et affamée, elle avançait d’un air si pitoyable… Les flocons de neige tombaient sur ses longs cheveux blonds et bouclés, bien fragile parure sous ce froid.

Les lumières brillaient à toutes les fenêtres et il flottait une délicieuse odeur d’oie rôtie dans la rue. C’était la veille du Nouvel An… la petite vendeuse d’allumette se prit à rêver.

Dans un coin entre deux maisons, elle s’assit, toute recroquevillée. Elle avait replié ses jambes sous elle, mais le froid n’en était que plus saisissant. La petite fille n’osait rentrer chez elle: elle n’avait pas vendu la moindre allumette, pas reçu le moindre sou… Son père la battrait assurément.

Ses petites mains étaient presque mortes de froid. Ah, qu’une petite allumette lui ferait du bien! Oserait-elle en ôter une du paquet, la frotter contre le mur et se réchauffer les doigts? Elle en tira une. Crac! Comme elle s’enflamma, comme elle brûla!

La flamme était chaude et claire, telle une petite chandelle, quand elle l’entoura de sa main. Quelle drôle de lumière! La petite fille eut l’impression d’être assise devant un grand poêle en fonte, au tuyau de cuivre rutilant. Il y avait un si bon feu et une si douce chaleur. Mais que se passait-il? La fillette étendait déjà ses pieds pour se réchauffer… quand la flamme s’éteignit. Le poêle disparut, elle resta avec le petit bout de l’allumette calcinée à la main.
Elle en frotta une autre, qui s’enflamma, l’éclaira, baignant d’une lueur diaphane le mur à ses côtés. Elle vit l’intérieur de la salle, ou la table était richement dressée, garnie des plus fines porcelaines et de couverts en argent. Une oie rôtie, farcie de pommes et fumant délicieusement, s’avançait vers elle. Que la pauvre petite fille avait faim, que l’oie semblait délicieuse! Mais l’allumette s’éteignit et le mur réapparut, épais et froid.

Elle frotta encore une allumette. La voici assise sous le plus beau sapin de Noël…

Il était encore plus grand et plus richement décoré que celui qu’elle avait aperçu tantôt par la porte vitrée d’un riche marchand. Mille bougies étincelaient dans la lumière. L’allumette se consuma. La petite marchande vit alors, dans le ciel, une étoile qui tombait en traçant dans son sillage un feu brûlant.

“Voilà quelqu’un qui meurt”, pensa la fillette, se remémorant les paroles de sa grand-mère, aujourd’hui décédée. “Quand une étoile tombe, c’est qu’une âme monte vers Dieu.”

Elle frotta une nouvelle allumette contre le mur, qui éclaira la pénombre tout autour d’elle. Et dans cette clarté nouvelle, sa vieille grand-mère était là, si nette, si lumineuse, si douce et si bonne.

-Grand-Mère! cria la petite. Emmène-moi! Je sais que tu seras partie quand l’allumette s’éteindra, partie comme le poêle bien chaud, partie comme la délicieuse oie rôtie, partie comme le grand sapin de Noël!

Elle se hâta alors de craquer toutes les allumettes qui restaient dans le paquet… Elle voulait tant retenir sa grand-mère! Les allumettes brillèrent avec un tel éclat qu’il fit alors plus clair qu’en plein jour.

Jamais sa grand-mère n’avait été aussi belle, jamais sa grand-mère n’avait été aussi grande! Elle prit la petite dans ses bras, et toutes deux s’envolèrent dans la splendeur et la joie. Toutes deux s’envolèrent là-haut, où il n’y avait ni froid, ni faim, ni peur… Elles étaient auprès de Dieu.

Au coin de la maison, dans l’aube naissante et glacée, la fillette était assise, les joues rouges, le sourire au lèvres… morte de froid. Le Nouvel An se leva sur son petit corps inanimé, à côté d’un tas d’allumettes brûlées.

-Elle a voulu se réchauffer… murmurèrent les passants.

Personne ne sut la beauté de ce qu’elle avait vu, ni la joie avec laquelle elle était entrée, au côté de sa grand-mère, dans la nouvelle année.

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